Making off

Notes d’intention réalisateur

L’envie de m’attaquer à ce(s) sujet(s) vient d’un besoin de créer le débat, de susciter des interrogations, voire la controverse, de chatouiller là où ça gratouille et, par ricochet, de prendre des risques cinématographiques à une période où les grands sujets ne manquent pas, mais où le formatage idéologique n’est jamais bien loin. Il s’agit également de pointer tous azimuts le maelström des contradictions d’une époque avide en certitudes, en vérités toutes faites et qui promulgue le politiquement correct à tous les étages.
S’il y a sans doute la volonté de mettre une once de provocation, voire de transgression, dans ce film, c’est afin de mieux interpeller, de questionner et, pourquoi pas, de déstabiliser le spectateur. Et le choix du titre n’est évidemment pas innocent…

 

Avec un tel sujet, il s’agit sans doute d’un film sur le fil du rasoir, comme l’étaient déjà « PROCESSION, ET CÆTERA » et « DO-IT-YOURSELF », mes réalisations les plus remarquées à ce jour. Ici encore, il ne s’agit pas de réaliser un film aimable ! « PORNOGRAPHY » se veut même déplaisant par certains aspects et certaines opinions émises. Il est à l’image de la société. On rase peut-être gratis mais on ne brosse pas dans le sens du poil ! Et si le film arrondit certains angles, c’est par l’humour, le décalage et un enthousiasme débordant, tout empreint de fausse naïveté qui « pulvérise allègrement, et avec une ingénuité confondante, les limites du bon goût », comme on a pu l’écrire pour certains de mes films précédents. Le public jugera et se fera sa propre opinion, les auteurs n’ayant aucune leçon à lui donner !
Mais ceci ne signifie nullement qu’il n’y a pas de point de vue ! Et si le film démontre quelque chose, c’est que tout cela n’est finalement qu’affaire de morale, que celle-ci est fluctuante en fonction des époques, des civilisations, du contexte socioculturel et des individus eux-mêmes ; que les textes juridiques concernant les « outrages aux bonnes mœurs » sont soumis à la plus grande interprétation des juges eux-mêmes et que la liberté d’expression est parfois aussi le prix à payer pour que la véritable démocratie, telle que nous prétendons la concevoir, existe belle et bien !
L’idée de pornographie, précisément de par ses connotations sulfureuses, voire répulsives pour certains, est un formidable support pour proposer une réflexion singulière sur le sujet.
J’ose croire qu’il s’agit là d’un film insolite, ne fut-ce que parce qu’il fait le choix de ne pas apporter nécessairement de réponses à toutes les questions posées. Vincent LOGEOT et moi-même cherchons et espérons que le spectateur s’en posera bien d’autres encore, plutôt que d’appliquer ce « prêt à penser » qui est le bien triste lot de notre époque.

La forme : fausses interviews mais vraie enquête

Si le court métrage adopte la forme d’un faux documentaire avec son micro-trottoir (mais les « vrais » de la télévision sont-ils plus représentatifs ?), sachez qu’un questionnaire a été soumis à près de deux cents personnes. Ce sont en partie ces réponses qui nous ont permis, à Vincent LOGEOT et moi-même, d’écrire les dialogues, de définir la structure du film. Certaines réponses se retrouvent parfois telles quelles dans l’interprétation des acteurs, d’autres ont été réécrites, voire mélangées entre elles pour créer l’un ou l’autre personnage. Ces réactions, nourries de lectures ciblées (voir la bibliographie), ont été la base principale de tout le travail d’écriture ; la forme documentaire nous permet d’introduire, au sein d’un même court métrage, une variété d’opinions parfois contradictoires.
L’utilisation du faux (« documenteur » plutôt que documentaire), a fortiori dans un film d’animation, ne nous a nullement paru un obstacle moral ou éthique, à une époque où l’on sait que la télévision ment, que les reality shows sont scénarisés et que certaines interviews du journal de 20 heures sont bidonnées ! Alors, à partir du moment où nous travaillons nos personnages image par image et où le cinéma est reconnu comme l’art du faux-semblant, tout nous a semblé permis pour arriver à nos fins !
Ici aussi, nous assumons le fait que le spectateur puisse ne pas être d’accord avec le film et nous espérons que cela le fera réfléchir !

 
« Esthétique de l’accumulation » ou « esthétique éclatée » ?

La forme documentaire et les interviews permettent de poursuivre ici ce que j’appelle une « esthétique de l’accumulation ». Celle-ci était déjà présente, à des degrés divers, dans mes films précédents. Mais dans « PORNOGRAPHY », le visuel oscillera d’un trait minimaliste à un graphisme qui pourra aller jusqu’à la surcharge.
Il s’agit généralement de plans composés de plusieurs couches (ou calques), où « s’accumulent » à la fois le sujet principal du plan et une série d’éléments qui confortent et enrichissent la lecture. Cela apporte un contrepoint, parfois ironique, parfois même contradictoire, à ce qui est dit ou montré de prime abord. Le spectateur comprend le sens général du plan (du film…) et ressent le trouble des différents niveaux de lecture sans forcément pouvoir l’analyser en profondeur à la première vision. Plus le film est vu, plus il s’enrichit de degrés de lecture supplémentaires sans que le sens général en soit changé pour autant.
Là aussi, vous trouverez des exemples concrets dans mes films précédents.
Quant à la forme « éclatée », il s’agit de l’utilisation d’esthétiques parfois très différentes de séquence en séquence et parfois même de plan en plan. C’est le recours à une forme plus contemporaine du collage traditionnel (une longue histoire chez les surréalistes belges tels Magritte, entre autre) qui, en fonction des différents interviewés, adopte des univers plastiques personnalisés. En schématisant, cela deviendrait : à chaque opinion ou témoignage, son univers graphique propre. Cela a également comme avantage de maintenir l’attention du spectateur en éveil dans un film où la parole est omniprésente et les personnages, tous en silhouette, très nombreux.
L’accumulation d’univers plastiques différents fait finalement l’unité du projet et sa caractéristique singulière. Ce kaléidoscope d’opinions et de graphismes devient le principe de narration, le dispositif filmique et le parti pris esthétique de ce court métrage.

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