Un peu d’Histoire
par Édith PATROUILLEAU, co-réalisatrice
LA TRADITION DU « INDIAN MASKING », plus connue comme « Indiens du Mardi gras » ou « Black Indians », façonne l’héritage et la culture de la Nouvelle-Orléans depuis plus de 300 ans. Dans les quartiers afro-américains cette tradition collective qui trouve ses racines dans la plaie béante de l’esclavage et l’esprit de résistance autochtone est le cœur et l’âme de la Nouvelle-Orléans.
Les Black Indians célèbrent et maintiennent leur africanité. Ils ont développé une façon sophistiquée de chanter, de raconter leur histoire avec une structure de « chant et réponse » (call & response), à la manière des griots africains. Ils partagent leur histoire avec les nations amérindiennes de la région, au sein desquelles nombre d’esclaves en fuite trouvèrent refuge. Les destins des victimes de la colonisation et de l’esclavage se sont souvent entremêlés. C’est cette histoire-là qui est contée, tout en étant voilée par les chants, la musique et le geste.
Aujourd’hui ce sont une quarantaine de « tribus » qui se costument chaque année le jour de Mardi gras (Super Sunday) et la nuit de la St Joseph. Le tambour parle, les chants codés résonnent dans des défilés de carnavals spectaculaires aux codes transmis de génération en génération, rythmés par la musique qui a inspiré le jazz. Les tribus, AKA « gangs » rivalisent de beauté dans leurs costumes de perles et de plumes, uniques, cousus pendant toute une année. Chaque tribu se compose de plusieurs individus qui sortent costumés, le « Big Chief », le « Second Chief », voire un troisième Chief, un « Flag Boy », un « Spy boy », le « Wild man » ou « Medicine Man », la « Queen » et aussi les « Little Queens », les enfants. Mais le cercle autour est vaste, il comprend la famille, les proches, le quartier, et la ville.
La maison du Big Chief est une base, un quartier général, un atelier de costumes.
Ils rêvent, dessinent et créent leurs costumes dans l’intimité de leurs foyers. Ces moments sont propices à la transmission orale. La beauté, la passion, la liberté, le talent mais aussi le rayonnement qu’ils ont dans leurs communautés font des Black Indians des personnages hors du commun. Les hommes et les femmes qui incarnent cette tradition, souvent parmi les plus pauvres, font face au racisme, à la délinquance et au mépris ; une culture symbole de résistance.
Les Black Indians ont probablement gardé le lien le plus étroit entre le temps où les esclaves se rassemblaient à Congo Square, au cœur de la ville, et aujourd’hui. Seul lieu où les esclaves pouvaient se rassembler le dimanche, Congo Square est également un site sacré pour les autochtones Houmas.
La tradition dut longtemps rester dans la clandestinité, « Masking » était interdit par le Code Noir de 1724. Les Black Indians ont toujours représenté une puissante résistance à la suprématie blanche même si, paradoxalement, cette coutume s’est beaucoup fait connaitre par les costumes du Buffalo Bill Wild West Show à la fin du 19è siècle.
Au début des années 70 ils participent des luttes et actions des Black Panthers enracinés dans les cités où se déroulaient les programmes mis en place par les militants. Ils opposent l’amour à la haine, la beauté au mépris, la poésie à la répression, la résistance à l’oppression.Quand les Black Indians sortent, ils montrent au monde leur magnificence et leur force spirituelle en parcourant les rues de leurs quartiers dans un défilé éloigné du carnaval officiel, et c’est pour tout le quartier un sujet de fierté.
Ils jouent également un rôle social crucial auprès des enfants et des adolescents, un rôle économique, et interpellent les politiques sur les pratiques discriminatoires.
Après l’ouragan Katrina en 2005, l’exode forcé de milliers d’afro-américains, l’afflux d’une population blanche à l’affut d’opportunités, la spéculation, la gentrification n’ont pas eu raison de ce phénomène unique. Bien au contraire, ils sont plus déterminés que jamais.
Édith Patrouilleau