Histoire du tournage
par Hugues POULAIN, co-réalisateur et chef opérateur
Quand Jo Béranger s’est lancée dans la préparation du documentaire sur les Blacks Indians, elle est passée me voir pour m’associer au projet. Nous travaillons ensemble depuis une vingtaine d’années, soit 5 ou 6 documentaires. J’ai aussitôt accepté l’offre, excité à l’idée de bourlinguer à la Nouvelle-Orléans avec les Blacks Indians et ma bonne copine.
En Juillet 2011, Jo est partie en repérage une première fois avec Édith Patrouilleau, une amie agrégée d’anglais à l’université Paris 13 et présidente du Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques, avec, en poche, une liste de contacts glanés ici et là. Parmi ceux-ci, un ami musicien nous a donné le téléphone de Nathalie, une française habitant la Nouvelle-Orléans et amoureuse de cette ville. Un de ses grands amis avait son père membre de la tribu de David Montana, la Washitaw Nation.
David a accepté de nous accueillir et d’être filmé. Cette « minorité » noire de Louisiane était étonnée de voir l’intérêt porté sur elle par des Français. Ils étaient aussi honorés et fiers de montrer leur coutume.
Tous les proches de David, la Whashitaw Nation, mais aussi les Fi-Yi-Yi (prononcez Fayaya); le révérend Goat Carson ; Dwight ; Grayhawk ; ils nous ont tous ouvert leur porte et leurs bras.
Au deuxième voyage (printemps 2012) les interviews ont commencé avec une petite caméra et un enregistreur son. Les chants « a cappella » de David ont été enrégistrés à ce moment-là, ainsi que la soirée couture chez David. Jo et Édith ont également rencontré Chief Howard et ses élèves pendant cette période.
Je suis arrivé pour le 3ème voyage en Novembre 2012 pendant Halloween, la réélection de Barak Obama, les finitions des costumes de parade pour le défilé du Mardi gras indien, et surtout les « Indian practice », c’est-à-dire les répétitions ou entraînements de chants.
Évidemment ils commençaient tous à être habitués et séduits par ces deux Françaises. Je me suis donc glissé très aisément dans le décor avec ma petite caméra et j’ai été accepté rapidement.
Nous avons arpenté les rues de la ville, passé énormément de temps à discuter et traîner avec nos nouveaux amis avant de sortir la caméra. Tous se demandaient : « Mais ils sont bizarres ces journalistes français, quand est-ce qu’ils filment ? »
Nous filmions quand le bon moment était arrivé. Les entretiens filmés chez David ont dû commencer le troisième ou quatrième jour. Il était très décontracté, en pleine forme, il a donc parlé sans aucune contrainte ni auto-censure. C’est ainsi qu’il a pu dire ce qu’il pensait de l’Histoire des États-Unis vue du côté des esclaves et de leurs descendants mais aussi de la politique actuelle des USA (à l’époque Barak Obama venait d’être réélu, imaginez ce qu’il dirait aujourd’hui avec Trump…)
La fabrication des costumes suivait son cours, éléments par éléments, mais nous n’avions aucune vue d’ensemble sur le résultat final. Il fallait patienter.
Puis il y a eu cette soirée « practice » dans un bar de quartier à Tremé avec les Wild Magnolias [Tribu de Black Indians – NDR]. Nous avions été introduits par Dwight, le vieux Medicine-man avec qui nous venions de passer la journée, c’est lui qui téléphone pour savoir s’il y a bien une practice ce soir là. Ils nous ont donné leur accord pour être filmés et ne se sont plus occupés de nous. Les conditions rêvées pour filmer des gens explosés de joie. Ça faisait chaud au coeur. Nous avions l’impression d’être en Afrique. Trois heures non-stop à vibrer aux rythmes des percussions et des chants.
Nous avons aussi passé beaucoup de temps avec le Révérend Goat Carson (titre auto-proclamé) qui, en plus de témoigner sur le côté spirituel des Blacks Indians et du Mardi gras indien, nous a offert des chansons de son cru (« Angel » celle qui introduit le film et « Babylon » celle du générique
de fin).
Il nous a aussi conviés à la cérémonie de Congo Square où il harangue la foule de Blacks Indians qui rythme ses paroles avec leurs percussions. Tout le monde était invité à danser et à se recueillir avec eux. C’était encore une très belle journée pleine d’émotion et de force.
Quatre mois plus tard, Mardi gras, à la mi-Mars. Les costumes se terminaient. Nous étions tous les trois (Jo, Édith et moi) heureux de revenir voir nos amis et d’assister enfin au fameux défilé. David Montana était un peu nerveux, un peu fébrile. Le jour J approchait et son costume n’était pas tout à fait fini. Heureusement les visites de ses voisins, de ses amis comme les Fi-Yi-Yi, lui remontaient le moral.
Le jour du Mardi gras, nous voulions le filmer pendant son habillage mais je ne suis pas resté longtemps dans sa maison car je le voyais très stressé et je ne voulais pas en être la cause. Nous sommes restés sur le perron avec le Medicine-man de la Whashitaw Nation, que nous voyions pour la première fois, en attendant le départ.
Puis, arrivés au parking, le lieu de rendez-vous avant le défilé, tout s’est décoincé. Tous les musiciens et membres de la tribu ont débarqué au fur et à mesure avec leur enthousiasme communicatif. Ils ont chanté, ils ont ri, ils ont fait le plein d’énergie pour vivre au mieux leur coutume. Quand nous sommes entrés dans le flot continu des Black Indians, nous avons été emportés, rebondissant de tribus en tribus dans un tourbillon de musiques, de chants, de rires, de cris, de couleurs, de soleil…
Tout paraissait fantastique, voire irréel. Et nos amis tenaient leurs rôles à merveille.
Trois jours plus tard, pour la nuit de la St Joseph, nous avions rendez-vous chez David en fin d’après-midi sachant seulement qu’ils devaient défiler dans le quartier en partant à pied de la maison. Un « bis repetita » du Super Sunday ?…Pas du tout. Nous sommes partis vers 17h pour ne revenir que vers 23h pour une virée sur-puissante. Entre les arrêts-visites chez les oncles, les mamies, les cousins, les amis, l’hospice où vit la sœur de David, je n’ai vu que des sourires et des yeux pétillants de bonheur.
C’est quelque chose d’unique au monde.
Et les tribus se croisaient dans un concours de flamboyance visuelle et sonore. Une apothéose de la beauté et du groove.
C’est ça les Black Indians.
Nous ne sommes que les témoins amoureux d’une coutume vivante mais cette coutume nous voulons la porter haut car c’est le plus bel espoir face à la barbarie des temps modernes.