Le genre est préexistant à votre envie d’histoires ou ce sont les histoires qui imposent le genre chez vous ?

Avec Anne- Laure, on a une vieille idée de cinéma. La plupart des films qu’on regarde sont l’œuvre d’auteurs morts ! Quand Fellini fait Amarcord, c’est du cinéma populaire à l’époque. Pourtant c’est une comédie d’une rigueur quasi despotique où rien n’est laissé au hasard. Idem pour le cinéma de Jacques Tati. Et tout ça venait du cirque et du music-hall, c’était avant tout pour divertir les gens mais bien évidemment la profondeur, la somme de détails est partout derrière, toutes les sous-couches sont présentes.  Donc on n’a pas réfléchi en termes de genre mais essayé d’évoluer dans une atmosphère de comédie offrant un regard sur le monde et une vraie proposition de cinéma. On ambitionne tout à la fois d’être exigeant et vu par le plus grand nombre. Voilà dans quel état d’esprit on travaille. Pas en fonction de tel ou tel thème qu’on aurait envie de traiter. On ne fait pas des films pour faire passer un message ou pour arriver à une conclusion sinon on aurait l’impression d’écrire une copie de bac qui n’aurait pour seul but que d’être parfaitement comprise par l’examinateur. Nous, on espère créer et faire vivre des sensations diverses et antagonistes. D’où la multitude de genres qui composent ce film et le fait que les personnages et les situations nous emmènent vers ces différents genres et pas l’inverse.

Comment se répartit le travail entre vous deux dans cette phase d’écriture ?

Au fil du temps, on discute de moins en moins car on sait de manière de plus en plus précise et induite le cinéma qu’on a envie de faire. De manière générale, c’est moi qui défriche, qui impulse la première écriture puis Anne- Laure reprend tout le scénario avant qu’on entame une phase plus commune.

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est peuplé de personnages hauts en couleurs : un ogre qui se casse les dents la veille de la grande fête des ogres, un magicien qui rate son tour de la femme coupée en deux, un vieux monsieur qui tombe amoureux de la paire de jambes de cette femme coupée en deux, un randonneur suréquipé qui reste coincé plusieurs jours dans un ascenseur avec son chien Picasso. Pouvez- vous nous raconter ce qui vous les a inspirés ?

Le magicien Popolo est totalement inspiré par Roberto Benigni dans Down by law. Ce type de personnages qui, dans les situations les plus désespérées, trouvent toujours l’énergie pour rebondir. Avec Anne- Laure, on lui a même proposé le rôle qu’il a refusé, au début Popolo le magicien s’appelait Benini. Par le choix de son patronyme, le vieux monsieur Demy, est évidemment un hommage à Jacques Demy mais plus largement à un cinéma que nous aimons beaucoup et malheureusement mort ou en train de disparaître. C’est pour témoigner et rendre hommage à ce cinéma qu’on a sollicité Alain Cavalier qui lui-même témoigne des métiers qui disparaissent dans ses Portraits. On lui a proposé de s’enregistrer seul chez lui pour s’emparer à sa manière de ce personnage. Mais il a décliné. Deux fois. On s’est alors tourné vers Jean-Pierre Mocky qui dans un tout autre registre représente, lui aussi, une idée forte de cinéma. Ça n’allait pas bien sûr, Mocky n’a pas la douceur de M.Demy mais nous sommes tellement contents de l’avoir rencontré et puis c’est en voyant un de ses films L’Ibis rouge, qu’on a trouvé le comédien pour incarner Demy : Michel Serrault. Non seulement il incarne ce cinéma mort et tant aimé mais il est mort lui-même ! C’était une très bonne idée. On s’est mis à rechercher un imitateur et Didier Gustin s’est tout de suite imposé.

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