Pourquoi avoir choisi un immeuble comme le croisement de tous ces destins ?
Cette idée d’immeuble vient sans doute de deux origines : une plus intellectuelle de notre lecture de Pérec, l’autre plus empirique qui est celle de ressentir ce que c’est que d’habiter ensemble mais séparés chacun dans des petites boîtes. Mais on a aussi eu rapidement l’idée de l’ascenseur avec Picasso et son maître qui seraient comme la colonne vertébrale du récit, à la manière des grooms de Mystery train qui revenaient régulièrement au fil du film. On les a écrits comme un centre immobile et un duo comique qui arriverait à diffuser son humour sur les autres histoires, en évitant de rester enfermé que dans une logique de sketches. C’est évidemment également un hommage au Père Noël est une ordure.
Comment construit-on le rythme entre les différentes histoires et les passages de l’une à l’autre sans perdre en route des personnages ?
Dans l’écriture, on était habité par Fellini qui avait cette capacité à se libérer des cadres. Notre but était de parvenir à nous en libérer nous aussi, en mêlant les histoires, les décors, en proposant des ruptures graphiques pour permettre au spectateur de s’y abandonner. A condition évidemment d’y trouver une cohérence et que rien ne soit gratuit. Ainsi, quand on choisit des décors, on ne raisonne pas en termes de beauté. Nous ne sommes pas des graphistes. On veut d’abord et avant tout aller au bout d’une cohérence, d’une histoire qu’on espère partager. On veut rester concentrés là-dessus c’est-à-dire sur ce qui nous semble être la façon la plus pertinente d’y parvenir sans penser aux potentielles réactions d’un tel ou un tel. On ne veut pas se préoccuper d’autres choses que le film. Tout ce qui incline tes choix autre que le film lui-même revêt de mauvaises raisons. On se donne comme modèles même si nous ne faisons pas le même cinéma, des cinéastes qu’on admire pour leur droiture. Comme Béla Tarr ou Robert Bresson par exemple qui représentent à nos yeux l’aboutissement total de ce que doit être un réalisateur de cinéma : quelqu’un qui trace une route sans s’ajuster au propos ou à la mode du moment.
Dans cette logique de vous libérer de tout cadre, vous multipliez les techniques d’animation : papier découpé, dessins, emploi d’archives… Comment se répartit le travail avec Anne-Laure à cette étape ?
C’est le seul moment où on ne fait pas la même chose en même temps. Tous les dessins ou presque du film sont signés par Anne-Laure. Pendant 4 ans, du story-board aux dessins définitifs ce qu’on appelle «le clean», elle dessine sans interruption. Une toute petite équipe passe quelques mois auprès d’elle pour l’animation des personnages d’après des pochettes qu’elle a préparé une par une, c’est-à-dire plan par plan en écoutant au casque le montage que nous avons fait des voix. Les personnages sont créés au casque. Chaque mot est écouté et découpé par syllabe, chaque inspiration, expiration, hésitation, rires, silence est épluché et retranscrit en mouvement. Anne-Laure est une autodidacte. Son trait peut paraître brut, brouillon et c’est vrai mais il est aussi extrêmement délicat et détaillé. Ne pas avoir appris comment faire le posing donne à son travail toute son originalité. Il n’y a pas de recours à une technique préétablie, seul son instinct est aux commandes, son ressenti pur. Pendant cette phase d’animation totale qui est la plus longue et qui commence en amont, on fabrique tout sur le même lieu, on ne s’éparpille pas dans plusieurs pays. Changer de direction sur un décor et faire évoluer les choses est donc plus simple car immédiat, tout au long de ces deux années de finition. On avance tout en parallèle, on ne construit pas le film en le divisant par corps de métier. Cela nous permet de rectifier, d’ajuster tout en permanence : les décors, l’animation, le montage…